Les Pavines pour lutter contre le stress
- Yohan Benoit
- 28 févr. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 avr. 2024
Plus de la moitié des français (60%) ont le sentiment d’avoir été stressés au cours des six derniers mois selon une étude Ifop/Fidbi réalisée en 2021.
Comment inverser la tendance avec des solutions naturelles formulées à base de plantes médicinales ? Les pavines, molécules actives du pavot de Californie, sont des alliés de poids pour lutter contre l'anxiété et le stress au quotidien.
Pour vous aider à mieux comprendre les mécanismes d'actions de cet actif végétal, Yohan Benoit (notre expert R&D) vous présente sa revue scientifique dédiée.
STRESS & COMPLÉMENTS ALIMENTAIRES
Le stress est un état aux origines multifactorielles et possèdant une forte variabilité inter-individuelle. En mars 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) annonce que les cas d’anxiété et de dépression sont en hausse de 25 % dans le monde en raison de la crise sanitaire [1]. Une tendance qui se retrouve sur le marché des compléments alimentaires.
En 2021, les compléments alimentaires utilisés pour lutter contre l’anxiété étaient les deuxièmes plus vendus en pharmacie, en magasin bio ou en GMS (grandes et moyennes surfaces) avec respectivement 18%, 16% et 23% des ventes totales dans ces surfaces [22]. Afin de lutter contre l’anxiété, les alcaloïdes sont une famille de molécules aux intérêts avérés.
I. Les alcaloïdes, origine et description
Les alcaloïdes sont majoritairement des molécules hétérocycliques à bases azotées.
On distinguera les alcaloïdes vrais qui dérivent d’un acide aminé, des proto-alcaloïdes (avec un azote extra cyclique) et des pseudo-alcaloïdes qui sont en réalité des terpénoïdes [8]. Ce sont des métabolites secondaires des plantes, utilisés par ces dernières afin de se défendre de l’agression d’autres organismes grâce à leur potentielle toxicité. Cependant une fois extraits et utilisés à des quantités mesurées, les alcaloïdes présentent divers intérêts pour l’Homme. Cet éventail d’utilisations est dû à la grande diversité des alcaloïdes et de leurs récepteurs.

Les plantes produisant des alcaloïdes sont nombreuses, nous pouvons citer par exemple les familles des apocynacées (exemple : la grande pervenche, Vinca major), des berbéridacées (comprenant le genre Berberis), des solanacées (exemple : la tomate, Solanum lycopersicum L) ou encore des papavéracées (exemple : le coquelicot, Papaver rhoeas ou le pavot de Californie, Eschscholtzia californica).

II. Californidine et Eschscholtzine
a. Présentation des molécules
La famille des pavines regroupe des molécules qui dérivent de la 1-benzylisoquinoléine (Figure 2). Parmi elles, l’eschscholtzine (Figure 3) et la californidine (Figure 4) sont deux alcaloïdes aux propriétés intéressantes que l’on retrouve dans le pavot de Californie (Eschscholtzia californica). A eux deux ils représentent 85% des alcaloïdes totaux de la plante. Tandis que l’eschscholtzine est l’alcaloïde majoritaire des fleurs de la plante, la californidine est majoritaire dans toutes les autres parties aériennes.

b. Mécanisme d'action
i. Système sérotoninergique
Les alcaloïdes d’Eschscholtzia californica possèdent plusieurs cibles.
Des études in vitro ont tout d’abord démontré la capacité des alcaloïdes du pavot de Californie à se fixer sur les récepteurs 5-hydroxytryptamine, 5-HT1A et 5-HT7 [16 ; 21]. Ce sont des récepteurs à 7 domaines transmembranaires couplés aux protéines G et plus précisément à la protéine Gi, pour le 5-HT1, sur lesquels va se lier la sérotonine. Cette molécule joue un rôle dans la régulation du comportement, de l’humeur, de l’anxiété [15 ; 23] ou encore dans l’apprentissage ce qui explique l’implication du récepteur 5-HT1A dans l’apparition des troubles psychiatriques tels que l’anxiété et la dépression.
Lorsque la sérotonine ou un autre agoniste se fixe sur ce récepteur la cascade de signalisation est la suivante [25 ; 17] (Figure 5) :
· Inhibition de l’adénylate cyclase (AC)
· Diminution de la concentration en AMPc (Adénosine MonoPhosphate Cyclique)
· Inactivation de la PKA (Protéine Kinase A)
· Ouverture des canaux potassiques

L’ouverture des canaux potassiques va entrainer une fuite du potassium du milieu intracellulaire vers le milieu extracellulaire ce qui va aboutir à l’hyperpolarisation de la membrane et ainsi une diminution de l’influx nerveux. En se fixant au récepteur 5HT-1A, la sérotonine agit en tant qu’inhibiteur permettant d’exercer un rétrocontrôle et d’éviter un surplus de stimulations nerveuses provenant d’un état d’anxiété par exemple [5].
L’étude de Stefan Gafner & al. (2006) a montré la capacité des pavines à se fixer à ce récepteur, et plus particulièrement l’eschscholtzine. En conditions physiologiques, la fixation de la sérotonine sur le récepteur 5-HT1A se décompose en 3 points. Le groupement hydroxyle de la 5-HT (sérotonine) va se lier à la thréonine 200 du 5ème domaine transmembranaire du récepteur, son noyau aromatique va créer une liaison hydrophobe avec la phénylalanine 361 du domaine transmembranaire 6 et la fonction amine de la sérotonine se lie à la fonction carboxylique de l’aspartate 116 du domaine transmembranaire 3 [11].
Les hypothèses actuelles suggèrent que c’est en se fixant d’une manière similaire que les alcaloïdes du pavot lutteraient contre l’anxiété chez l’Homme, agissant comme un agoniste de 5-HT1A.
Selon la dose administrée, les alcaloïdes du pavot de Californie démontrent une action neurosédative allant de l’effet anxiolytique à faible dose (≈25mg/kg) à la sédation à plus forte dose (≈150mg/kg) chez la souris [18]. Ils possèdent en plus de cela une activité inductrice du sommeil qui favorise l’endormissement et prolonge le sommeil. Il est important de noter qu’en général les doses utilisées lors des essais précliniques sont plus importantes que celles utilisées chez l’Homme.
En général, l’extrait de pavot de Californie n’est pas le seul ingrédient des produits nutraceutiques et fait partie d’un mélange de plantes. Il est généralement associé à la mélisse (Mélissa officinalis) et/ou au coquelicot (Papaver rhoeas), 2 plantes possédant également des propriétés sédatives. Dans ce genre de mélanges pour l’Homme, le pavot de Californie se retrouve à une dose allant de 10mg à 200mg [7]. Utilisé seul, les doses atteignent 2000mg en Espagne ou environ 1000mg en France [16].
ii. Système GABAergique
Une autre piste privilégiée concernant le mode d’action des alcaloïdes du pavot est celle du système GABAergique, en interagissant notamment avec les récepteurs aux benzodiazépines. Pour rappel, le GABA (Acide gamma-aminobutyrique) est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central, son action s’oppose au glutamate qui joue un rôle excitateur.
Les alcaloïdes du pavot de Californie se fixeraient sur le récepteur GABA-A ce qui, par une cascade de signalisation (Figure 6), inhiberait la propagation du signal nerveux tout comme le GABA. [8 ; 20]

Les benzodiazépines sont généralement utilisées pour lutter contre l’anxiété légère ou modérée et l’insomnie d’endormissement. Leur efficacité pour traiter les symptômes de l’anxiété n’est plus à démontrer [4 ; 14 ; 24]. Cependant, ils ont le désavantage de posséder des effets secondaires indésirables tels que la dépendance [6] physique et/ou psychique ainsi qu’un phénomène de tolérance [3] réduisant leur efficacité. Contrairement à ces dernières, l’utilisation du pavot de Californie n’entraine pas de dépendance ni d’accoutumance [18 ; 19 ; 20]. De plus, ses alcaloïdes ne montrent aucune toxicité à court terme ou à long terme pour les doses utilisées chez l’Homme ou l’animal [7], ce qui en fait un substitue idéal aux benzodiazépines pour traiter l’anxiété ainsi que le stress léger. Il existe toutefois des contre-indications chez les femmes enceintes ou encore les personnes consommant des médicaments tels que les somnifères car le pavot de Californie possède un effet potentialisateur des hypnotiques [18].
III. Conclusion / Discussion
Au regard des bienfaits procurés par la présence de californidine et d’eschscholtzine, le pavot de Californie possède des propriétés anxiolytiques et hypnotiques intéressantes. L’utilisation des pavines permet de lutter efficacement contre le stress et l’anxiété par action sur le système GABAergique ou sérotoninergique.
Cependant, limiter les effets d’une plante à une famille de molécule serait réducteur. Les propriétés pharmacologiques attribuées aux végétaux proviennent plutôt d’une synergie entre différentes molécules. Dans le cas du pavot, nous pouvons citer la rutine (Figure 7), un flavonoïde aux attributs variés, présent dans de nombreuses plantes et fruits.

Cette molécule possède de nombreuses actions comme son pouvoir anti-inflammatoire, analgésique, antiarthritique, anti-diabétique [10 ; 10] ou encore de sédation [9] (agissant de pair avec les alcaloïdes car la rutine ne cible ni la voie du GABA, ni la voie sérotoninergique).
Peu d’études sont pour le moment disponibles concernant les effets de la rutine sur le stress et l’anxiété. Cependant, elles nous apprennent que cette molécule est également liée à une réduction de l’anxiété chez les souris traitées [2 ; 13]. Le mécanisme d’action suspecté par les auteurs dans cette expérience est celui de l’acétylcholine estérase (AChE), l’enzyme qui permet le clivage de l’acétylcholine afin de permettre aux neurones cholinergiques de revenir à leur état de repos.
Cela rend la rutine intéressante pour de prochaines études, voir pour l’enrichissement du régime de la population via des compléments alimentaires ou encore par enrichissement direct d’aliments. Cependant la plus grosse difficulté rencontrée avec cette molécule concerne sa mauvaise hydrosolubilité rendant son extraction très compliquée.
Toutefois, la rutine reste facilement accessible car on la retrouve dans les fruits et les légumes que nous consommons, montrant qu’une alimentation saine reste à la base d’une bonne santé.
IV. Bibliographie
[1]. Alison Brunier (Chargée de communication OMS), Carla Drysdale (Chargée de communication OMS). (2022). Les cas d’anxiété et de dépression sont en hausse de 25 % dans le monde en raison de la pandémie de COVID-19
[2]. Anesti M, Stavropoulou N, Atsopardi K, Lamari F. N, Panagopoulos N. T, & Margarity M. (2020). Effect of rutin on anxiety-like behavior and activity of acetylcholinesterase isoforms in specific brain regions of pentylenetetrazol-treated mice.
[3]. Bateson, A. (2002). Basic Pharmacologic Mechanisms Involved in Benzodiazepine Tolerance and Withdrawal.
[4]. Campo-Soria Claudia, Chang Yongchang & Weiss David S. (2006). Mechanism of action of benzodiazepines on GABAA receptors
[5]. Celada P, Bortolozzi A, & Artigas F. (2013). Serotonin 5-HT1A Receptors as Targets for Agents to Treat Psychiatric Disorders: Rationale and Current Status of Research.
[6]. Denis C, Fatséas M, Lavie E & Auriacombe M. (2006). Pharmacological interventions for benzodiazepine mono-dependence management in outpatient settings.
[7]. Esther Demir (2019). Le pavot de Californie (Eschscholtzia californica cham.) : caractéristiques, propriétés et utilisations d’une plante médicinale.
[8]. Fedurco M, Gregorová J, Šebrlová K et al. (2015). Modulatory Effects of Eschscholzia californica Alkaloids on Recombinant GABAA Receptors
[9]. Ganeshpurkar Aditya, Saluja Ajay K. (2016). The Pharmacological Potential of Rutin
[10]. Ghorbani, A. (2017). Mechanisms of antidiabetic effects of flavonoid rutin.
[11]. Hamon Michel, Gozlan Henri (1993). Les récepteurs centraux de la sérotonine
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[13]. Lalit Machawal, Anil Kumar (2014). Possible involvement of nitric oxide mechanism in the neuroprotective effect of rutin against immobilization stress induced anxiety like behaviour, oxidative damage in mice
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[19]. Rolland A, Fleurentin J, Lanhers M C, Misslin R, Mortier F. (2001). Neurophysiological effects of an extract of Eschscholzia californica Cham. (Papaveracea)
[20]. Rolland A, Fleurentin J, Lanhers M C, Younos C, Misslin R, Mortier F, Pelt J M (1991). Behavioural effects of the American traditional plant Eschscholzia californica : sedative and anxiolytic properties.
[21]. Stefan Gafner, Birgit M. Dietz, Kerry L. McPhail, Ian M. Scott, Jan A. Glinski, Fiona E. Russell, Megan M. McCollom, Jason W. Budzinski, Brian C. Foster, Chantal Bergeron, Mee-Ra
[22]. Synadiet (13.04.2022) Observatoire 2022 et chiffres du marché 2021
[23]. Toth, M. (2003). 5-HT1A receptor knockout mouse as a genetic model of anxiety.
[24]. Wick, J. Y. (2013). The History of Benzodiazepines.
[25]. Yves Landry, Jean-Pierre Gies. Pharmacologie Des cibles vers l'indication thérapeutique. Dunod, 2009 (2e édition).
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